s'animer à un effet de foule.
uno ☾ Il a six ans.
Imagine toi ailleurs.
Où ça ?
J'en sais rien. Ailleurs. C'est toi qui vois.Il ferme les yeux. Sa main toute douce vient caresser sa joue. Il n'y a pas à s'inquiéter, ça partira avec l'âge, le somnanbulisme.
Ca ne part pas avec l'âge, pas chez lui en tout cas, mais ça il peut pas en être sûr, ils ne peuvent pas le savoir, ni Viola, ni son père, ni sa mère.
En attendant, ils font ce qu'ils peuvent, et Viola tente tout ce qui est en son pouvoir pour le calmer.
Elle parle tout doucement, avec une voix calme et belle. Il ferme les yeux.
Sauf que dans la nuit ça marche pas, il a beau faire tout ce qu'il peut, ça donne rien, et on le retrouve, le lendemain matin, allongé en boule dans le jardin, le jardin qui donne sur la mer. La mer est calme, elle l'apaise. Plus tard, lorsqu'ils seront en France, ce sera plus compliqué, sans la mer pour le calmer.
Et puis comme ça, tout du long de sa vie, il va être un des deux boulets de cette famille. On va se faire du souci parce que, peut-être un jour, on ne le retrouvera jamais, il sera parti dans la nuit, dans une crise étrange, et il ne sera jamais réapparu, parce que perdu dans une forêt et dévoré par un loup.
Qui sait.
duo ☾ Il a treize ans.
Le pire, c'est lorsqu'il rentre du collège. Parce qu'il se sent seul, parce que Viola, cette allégorie de la sociabilité, elle est pas là, elle est avec ses potes au bord de la mer, à emmerder les dauphins (c'est une princesse disney, y'a pas de doute). La maison est pas si grande pourtant.
Il ouvre grand les baies vitrées. Il ouvre grand, aère, prend une grande inspiration, puis regarde devant lui. Y'a le jardin, puis directement en face, la mer, mais pas la plage, elle est plus loin. Plus tard, il se rendra compte du prix que devait valoir cette baraque qu'ils louaient, sur la côté amalfitaine.
Là il se sent juste triste. Sa mère devrait pas tarder...
D'ailleurs oui, elle arrive, et elle ramène des fleurs (y'en a partout dans la maison à cause (grâce à) elle. Il sourit, il la regarde faire à manger. Puis c'est Viola qui rentre, et elle a les cheveux mouillés (elle a du se baigner). Fais beau aujourd'hui.
C'est le dernier jour de cours c'est vrai...
Peut-être que son père va être plus présent. Tu parles.
Il rentre tard, lorsque le repas est fini depuis une heure, ou deux.
Et Alu le regarde avec quelque chose de triste.
Ou qui relève de la haine.
Il en est pas conscient, et petit à petit, l'animosité monte.
tres ☾ Il a dix-neuf ans.
Il pensait pas que ce serait comme ça. C'est peut-être parce qu'il est agressif, violent (putain mais règle tes problèmes mec) que le nana s'est dit, allez on va y aller franco. Sauf que oui mais non. Lui il imaginait ça autrement. Doucement, avec une sorte de tendresse. Espèce de fleur bleue de merde. Si bien qu'il s'est retrouvé un peu perdu dans tout ça, et c'était pas franchement le rêve. Bon bah elle, elle a pris son pied, et lui, il est allongé à côté, et il est complètement paumé.
Deux jours plus tard, pour fêter la fin des exam, Lucie l'emmène dans un bar gay (pourquoi, on ne saura jamais) (peut-être qu'elle a des soupçons) (il imagine que ça doit être ça). Sans trop savoir pourquoi, et alors qu'il risque de crever du sida, il rentre chez le mec, et ils s'envoient en l'air.
Ou ils font l'amour, il a aucune idée de comment appeler ça, mais putain c'était puissant. Et c'était plus ou moins ce qu'il imaginait.
Deux mois plus tard, il rencontre cette nana, Joy, dont il tombe éperdument amoureux. Et le gars n'existe plus, il l'oublie complètement, il ne le rappelle jamais, et il passe cinq ans de sa vie avec Joy.
Pendant ce temps là, il passe sa vie dans un amphi, à apprendre le nom de tous les os du corps. Puis il fait des stage dans des hôpitaux, il teste plein de trucs (cardiologie, radiologie, chirurgie, neurologie, hépatologie, anesthésie, urgences, réa, pédiatrie ...) il finit par trouver sa voie. Il voit rarement son père, et c'est tant mieux. Il trouve un sens, il se calme.
Puis.
Tout implose.
quattuor ☾ Il a vingt-cinq ans.
Il va péter un plomb d'une minute à l'autre.
Ca a commencé par Joy, qui l'a quitté, pour une raison obscure (il soupçonne l'adultère) (enfin bon, elle aurait raison, il est loin d'être un bon coup). Et ça... Ca ça l'a mis K.O. Pendant plusieurs jours il est allé au stage la boule au ventre, il a passé ses examens avec difficulté, il rentrait, se foutait dans son pieu et dormait (certains appellent ça la dépression, lui il appelle ça, ça le fout beaucoup trop mal). Il a eu son diplôme officiel, et sa spécialisation en urgences. Ouai. Ouai bah bravo maintenant tu peux exercer un peu partout dans le monde (sauf dans le coeur de Joy) (oh putain il est niais).
Ca a commencé par ça.
Puis. Ca a empiré. Son père s'est révélé une sorte de drogué étrange, et puis tout le monde s'est mis à prendre soin de lui, prendre de ses nouvelles, et à mesure que sa devenait de pire en pire, bah y'a eu une intervention, et hop, il s'est tiré en Suisse pour une traitement.
De ce que Alucard a suivi (parce qu'il a suivi ça de loin).
Les deux en même temps. Le fait de se faire jeter par Joy et l'incapacité de son père, cette figure qui descend, de plus en plus dans son estime, et qui creuse encore, ça, ça ça l'a achevé.
Alors il a pris sa voiture. Il a été le voir en Suisse.
Et là il a pété un plomb.
Un jour, c'est promis, il racontera ce qu'il s'est passé à ce moment. Tout ce qu'il lui a dit, tout ce qu'ils se sont dit. Il n'a plus jamais été le même.
En repartant, il était certain de son choix et de sa colère sourde. Il se souvient nettement de sa gorge qui le brûle, d'avoir trop gueulé.
Le lendemain, il s'est inscrit dans un programme de médecin sans frontière, et le mois suivant, il partait pour la Syrie.
quinque ☾ il a vingt-sept ans
Dans la chaleur de la Syrie, y'a quelque chose d'étrange qui entoure les particules de poussière. Le sang, peut-être, les cris, qui parviennent à devenir palpable, ou alors la sueur et la tension. La respiration saccadée des mourants, se mêlant à celle des médecins. Et puis l'horreur, et la beauté.
Il s'est retrouvé ailleurs...
Il a vu des gens mourir, il en a vu d'autres revenir d'entre les morts, il a assisté à treize accouchements, il a vu la grande mosquée des Ommeyyades de Damas, il a souri et il a partagé beaucoup, il a sauvé des vies aussi, beaucoup, il a essayé de se retrouver lui-même, quelque part, il a réussi. Il s'est senti étrangement plus souriant et plus apaisé, plus calme au coeur de la mort. Il a sauvé des militaires aussi, il a été mis sur le front parfois pour des civiles.
On lui a dit, des centaines de fois, putain mais rentre chez toi, prend soin de ta famille, gâche pas ta vie ici.
Il a jamais écouté, parce que la famille, il a décidé de la foutre en l'air, et parce que sa vie, c'est en sauver d'autres.
sex ☾ il a vingt-neuf ans
Il a gardé contact avec sa soeur. Il sait maintenant qu'elle habite en Corse.
Petit à petit, sa propre santé s'est dégradée, plus vite qu'il ne l'avait cru. Il est devenu faible, ses crises de somnambulisme (ça part avec l'âge mon cul) sont devenues plus fréquents. Il est devenu de plus en plus pâle, la situation s'est aggravée.
Il s'est fait rapatrié, sur ordre médical, et parce qu'il ne pouvait pas rester seul en France, on l'a ramené en Corse où, lorsque l'avion a atterri, sa soeur l'attendait.
Il se souvient, dans l'avion y'a eu un malaise à côté d'une nana. Elle s'appelait Sappho, et elle a demandé si y'avait un médecin dans l'avion, il s'est levé, et il a tout pris en main. Sappho et lui sont restés amis, liés étrangement. Elle est aujourd'hui une de ses amies les plus proche dans la ville.
Il s'est installé à Porto-Vecchio il y a un an, et il n'a toujours pas reparlé à son père. Il est des choses qui ne se règlent jamais vraiment. Il est des choses que la rancoeur d'Alucard ne pardonnent pas.
Quelque part, il l'aime son père. On aime toujours son père.
Quelque part ...