c'est de l'encre dehors. y'a pas vraiment d'étoiles, y'a un morceau de lune qui s'aperçoit ici, là, et andrea pour une fois il a terminé un peu plus tôt. y regarde, il cale bien sur sa tête sa capuche et enfonce son pauvre squelette dans ses fringues. ça caille. ça caille doucement, assez pour qu'il sente un frisson venir lui caresser la nuque et finir entre ses reins. quelques paillettes argentées traînent sur ses joues, ça le fait rire en voyant le résultat sur le bout de ses doigts. il prend son temps. c'est toujours pareil. il essaie de capter l'essence de la ville quand elle est sous bouton off. il essaie de la comprendre, de la cerner, même si son pauvre carnet prend la poussière sur une étagère chez lui. il analyse. il oublie aussi, et redécouvre à chaque fois la manière dont se forment les bâtiments, dont finissent les rues.
inspiration, expiration.
lèvre inférieure pincée, il s'étire mollement avant de reprendre la marche tout en calant bien son sac sur son épaule. il écoute. il laisse le verre pilé se déglinguer encore plus sous ses pompes. il prend conscience des odeurs fadasses qui traînent - tant des bouteilles vidées que des pétards cumulés. il s'arrête, il fronce les sourcils. y'a une forme dans l'ombre qui fait un peu lumière. y'a des soubresauts, y'a des tremblements qui se fondent dans les briques. et andrea, andrea il fait un pas, puis un autre avant de rebrousser chemin. il a la tête trop ailleurs, planquée sur une comète. il percute rien. ça pourrait être sa fin. ça pourrait être rien aussi. et à trop d'inconscience, il hausse les sourcils en voyant la forme à peu près humaine posée sur le trottoir. il a du mal. puis il le remet. c'est ce gosse un peu ailleurs, croisé dans la cour du bahut quand il cherchait encore nino à l'époque. quand il était pas si grand, pas si enclin à devenir adulte. c'était cette tignasse trop sombre qui se faisait toute petite dans ses fringues quinze fois trop grands. il est pas bien, ça se voit et le souci c'est qu'andrea il sait jamais trop comment faire. alors il se pose, dans le plus grand des calmes, il lève le nez vers le ciel.
- t'as pas l'âge pour traîner aussi tard... si ? briser la glace, tirer de rien, faire une fin du monde avec des petits fragments de chaos. dans le fond andrea on lui pardonnera autant qu'on le détestera pour ça. 'fait salement nuit... genre. t'sais il fait plus nuit que nuit. c'est plutôt pratique pour passer inaperçu, remarque. c'est qu'un fantôme parmi tant d'autres. c'est qu'un spectre qui traîne sa carcasse tel un boulet de chair. il a pas de mission, lui, l'artiste en berne. il veut juste peut-être se rendre utile. ou le ramener ailleurs. parce que quand y'a pas cette habitude du noir, y'a plus qu'à se laisser bouffer.

il a pas mal à perdre. des secondes, des minutes, des heures, une éternité à se demander ce qu'il peut bien foutre. il a pas mal à perdre, andrea. alors quitte à tenter, autant bien le faire. lèvre inférieure mordue à outrance, elle se rougit un peu sous la force assénée et ses deux prunelles continuent de dévisager le trop plein de vide. il s'attend pas forcément à une réponse, ni à ce qu'il joue sur la même longueur que lui. il s'attend même à une bâche, une gifle qui le mettra pas au sol, mais qui aura eu son petit effet. pourtant c'est l'inverse qui se produit, ça lui fait agrandir son sourire de fatigué qui pourrait prendre l'allure d'un croissant de lune. sourcils froncés, il tapote du pied et fait tomber la capuche de son sweat sur ses épaules. y ressemble à pas grand-chose, andrea. une vieille tache de stylo rouge à la grande limite. ou le tipex qui dégouline sur la feuille pleine de fautes. il rit un peu, tourne la tête, le regarde peut-être trop attentif.
- y'a toujours moyen d'en trouver d'toute manière. l'un marche pas sans l'autre, ça fait partie d'ces concepts à la con qui sont... vrais. haussement d'épaules, ses mains viennent se poser sur le bitume congelé, frottent un peu les cailloux minuscules qui s'y roulent. moi bah - j'ai terminé d'bosser alors techniquement j'rentre chez moi. dans les faits. pas dans le fond ni clairement dans la forme. il reste là, bien planté dans le présent et dans l'heure trop tardive pour eux. c'est l'instant où les monstres se réveillent, où les ombres dansent et où tout devient subitement plus triste. andrea lui il préfère compter les étoiles ou se demander combien de cartons il faut pour atteindre l'astre gigantesque.
- ouaip... soupir, inspiration profonde, il ose pas trop se rapprocher. faut éviter d'être trop brusque avec une bestiole blessée. il tire son paquet de clopes de sa poche, en chope une et la cale dans son bec. j'te renvoie la balle ; tu fous quoi ici ? t'as pas l'air torché.