Dans le port de plaisance, les bateaux s’accumulent, les esprits s’ambiancent. Les mains nonchalamment enfoncées dans les poches, l’esprit embrumé j’avance, observant les âmes qui s’activent autour de moi. Il est neuf heures du matin et déjà les abords maritimes sont bondés de monde. Les conversations s’entremêlent, quelques mots à peine audibles à travers la foule. Je ne les écoute pas, je les entends. Des bribes d’échanges volontairement captées, je me distrais des disputes conjugales et des débats futiles pour savoir s’il faut plutôt acheter un seau pour aller à la plage ou s’il faut le kit complet pour les mioches. Tout ça m’est bien égal, je marche seul dans mon monde et je ne laisse rien me distraire. Sauf peut-être cette silhouette gracile qui fait monter des passagers sur l’un des nombreux navires accostés là. Curiosité piquée au vif, l’œil charmé, je m’approche lentement et lit l’inscription sur la pancarte placée sur le quai. « Excursion : réserve naturelle, bouches de Bonifacio ». Ce n’est pas tant la beauté, sûrement très délectable, des bouches en question qui attire mon attention mais bien la jeune femme qui amasse ses troupes avant le grand départ.
« Elles ont quoi de spécial, ces bouches ? », j’ose lui lancer, l’air curieux. Un léger sourire s’est dessiné sur mes lèvres sans même que je ne m’en rende compte. Etat naturel, le sourire facile, l’aplomb du maghrébin qui ose. Elle tourne la tête dans ma direction, s’étant rendu compte qu’un étranger parmi la foule vient de lui adresser la parole. « Pardon, j’en oublie la politesse. Bonjour ! », dis-je sur un ton qui se veut amical, chaleureux. Je survole les quelques images et les inscriptions de la pancarte mais n’en retiens pas la moitié. Puis mon regard se porte à nouveau sur la demoiselle. « Vous êtes la guide ? ». Tu m’étonnes que les gens aient le sourire, je me laisserais volontiers guider dans ces conditions moi aussi. Je fais mine de m’intéresser à l’excursion, sans vraiment penser y participer un jour. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment – c’est souvent le cas – mais j’ai juste envie de lui parler. D’entendre le son de sa voix, de lui faire un brin de causette, juste comme ça.